Nous vivons une crise historique du logement et ce n’est pas la faute des JO

Tribune de Jacques Baudrier dans Libération du 20 mars 2024 https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/nous-vivons-une-crise-historique-du-logement-et-ce-nest-pas-la-faute-des-jo-20240320_7TUYQEYBZRCVHGS3ARMUGQFNJU/

Pour Jacques Baudrier, en charge du logement à la mairie de Paris, nous traversons, 70 ans après l’appel de l’Abbé Pierre, une crise structurelle du secteur. Il demande à l’Etat de prendre les mesures nécessaires pour remettre sur le marché locatif des logements inoccupés. Et de multiplier par 3 la taxe sur les logements vacants.

Baisse historique de la construction de logements, augmentation continue du nombre de sans-abris et de demandeurs de logements sociaux, chute brutale du nombre de logements à louer dans le parc privé, chute de l’emploi dans le secteur du bâtiment, lenteurs du processus de rénovation énergétique des logements à l’échelle du pays : tous les indicateurs du secteur du logement vont dans le même (très mauvais) sens.

Une crise structurelle et non conjoncturelle

Si les Jeux olympiques et paralympiques mettent une lumière particulière sur Paris et sur sa crise du logement, il ne faut pas croire que les deux sont liés. Nous ne vivons pas une crise conjoncturelle, mais bien une crise structurelle, profonde, du logement dans notre pays, à l’échelle de celle que dénonçait l’Abbé Pierre à l’hiver 1954.

Paris comme l’ensemble du pays est touché de plein fouet. La ville de Paris a pourtant produit 110 000 logements sociaux depuis 2001, nous permettant d’atteindre les 25 %. Alors que 70 % de la population y est éligible, cette politique volontariste permet aux Parisiens de se loger dans leur ville.

Le budget 2024 de la ville de Paris dédié au logement n’a jamais été aussi élevé, avec 625 millions d’euros, soit 120 millions d’euros de plus qu’en 2023. Mais malgré cet investissement inégalé, l’absence de politique nationale du logement et les défaillances du marché privé sont telles que l’offre de logements disponibles se réduit. La baisse de la construction et la hausse des taux d’intérêt permettent à de moins en moins de locataires du parc social d’en sortir, et fait baisser le taux de rotation. Il y a ainsi moins de logements sociaux disponibles à la location dans l’ensemble du pays. Paris compte 277 000 demandeurs de logements sociaux, un nombre en augmentation constante.

A Paris, 1 logement sur 5 est inoccupé

La réalité, c’est que nos efforts de production se trouvent annihilés par la baisse de plus en plus marquée du nombre de logements dans le parc privé. 19 % des logements à Paris sont inoccupés, soit près d’un logement sur cinq. 10 % sont des résidences secondaires, 9 % des logements vacants. Ce sont donc 269 000 logements qui ne servent pas à loger les Parisiens ! Ces 269 000 logements assèchent le marché privé, rendu inaccessible.

L’indisponibilité du foncier et la nécessité de végétaliser la ville font que la construction, aussi utile qu’elle soit, ne peut suffire à renforcer l’offre de logement. Le premier vivier de logements à aller chercher se situe au sein des logements inoccupés. C’est pour cela que je plaide auprès de l’Etat pour une série de mesures ambitieuses pour remettre ces logements dans le marché locatif.

Concernant les logements vacants, 20 000 d’entre eux le sont depuis plus de deux ans. Il ne s’agit pas de vacances frictionnelles (travaux pour remise en vente ou en location, succession etc.) mais bien de logements délaissés ou soumis à la spéculation. La ville de Paris demande à l’Etat la possibilité de les réquisitionner, comme le permet la loi, pour y héberger les personnes sans-abris ou vivant dans des logements indignes. Pour l’instant, le gouvernement refuse, de manière incompréhensible au regard de l’ampleur de la crise : plus de 330 000 personnes dorment dans la rue, dont plus de 3 000 enfants. A Paris, les bénévoles de la dernière nuit de la solidarité, qui recensent les personnes sans abris, a constaté une hausse de 16 % de personnes sans solution d’hébergement en un an, soit 3 492 personnes.

Dans le même temps, je demande une multiplication par 3 de la taxe sur les logements vacants, pour réellement inciter à la remise sur le marché. En effet, les taux actuels sont trop peu dissuasifs pour des multipropriétaires qui sont de fait largement à l’abri du besoin. Plus de la moitié du parc locatif parisien est détenue par des propriétaires ayant plus de 5 logements !

En 2014, nous obtenions la création d’une taxe sur les résidences secondaires. Mais là aussi, les taux actuels n’incitent pas les propriétaires à les remettre sur le marché. Les rehaussements successifs ne sont pas suffisants pour être réellement dissuasifs, son taux doit être triplé. J’appelle le gouvernement et les parlementaires à se saisir de cet enjeu lors du prochain projet de loi de finances et de faire de cette taxe un véritable levier pour remettre sur le marché jusqu’à 100 000 logements. Cela ne résoudrait pas complètement le déficit de 300 000 logements existant en Ile-de-France, mais y contribuerait de façon importante.

Accompagner la rénovation énergétique

Enfin, il se profile la crise de l’offre liée à la rénovation énergétique. La rénovation énergétique, au-delà d’être un impératif social et écologique, est aussi une politique en faveur de l’offre de logements. En effet, la rénovation des petites surfaces, le plus souvent classées F et G, permet leur remise sur le marché locatif. La loi climat et résilience, qui interdit la location des logements classés G en 2025 et les classés F en 2028, doit s’accompagner de moyens supplémentaires afin de permettre aux copropriétés d’engager les travaux. Concrètement il est urgent de doubler les niveaux de financements de l’Etat pour les logements en F et G, dont les rénovations coûtent plus cher. De nombreux logements risquent de sortir du parc locatif, environ 150 000 à Paris, aggravant encore plus la crise actuelle. Comment comprendre alors que, dans ce contexte, le gouvernement supprime un milliard d’euros de financement du dispositif MaPrimeRenov ?

En protégeant le logement de la spéculation et des défaillances du marché en développant encore plus l’offre publique, en accompagnant la rénovation par des moyens financiers et humains suffisants, en dissuadant la vacance alors que tant de gens sont à la rue, nous pourrons répondre en grande partie à la crise que nous traversons. Paris prend sa part, nous attendons de l’Etat qu’il prenne la sienne. Faisons notre en matière de logement la devise olympique : plus vite, plus haut, plus fort.